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FALLOUT24

Verset 2: Morituri te Salutant

Ces derniers temps j’avais beaucoup couru : dans l’abri pour échapper à une éventuelle poursuite, puis, dans la caverne sur laquelle donnait la porte de sortie, poursuivi par les rats. J’étais finalement sorti à l’air libre. Un vent léger et chaud caressait mon visage, sensation tout à fait étrange et bien plus agréable que ma seule expérience qui avait été de regarder un ventilateur dans les yeux. Je marchais sur du sable, et au dessus de moi, le ciel, bleu très sombre, scintillait d’étoile. Tout cela n’avait rien à voir avec tout ce que j’avais pu lire. Je me laissai tomber sur le sol et m’endormis là.

Je fus réveillé le lendemain par une forte clarté. Là encore, le soleil, comme cela s’appelait, avait peu à voir avec un néon ou une lampe à économie d’énergie. Tout autour de moi, un désert de sable d’où émergeaient quelques épaves, témoins de la civilisation disparue : entre deux rochers un ancien mur de pierre ou un reste de voiture finissant de rouiller, le coffre hors du sable. Je fis un inventaire de ce que j’avais emporté ; la plupart des articles se trouvaient déjà dans le sac que j’avais pris à l’armurerie : un pistolet 10mm avec trois chargeurs dont un à moitié vide, une boite de trente-cinq balles de rechange, un fusil de chasse avec une douzaine de cartouches calibre 12 en vrac, un exemplaire du livre de survie de l’abri, une carte des États-Unis et en particulier de cette région, trois fioles d’eau de l’abri plus une réserve de deux litres dans une bouteille thermo-isolée, des repas déshydratés, un sac de couchage, une couverture de survie, des cachets anti-radiations Rad-X, une trousse de secours, des lunettes de soleil haute-protection, un compteur Geiger. Il y avait largement de quoi survivre, et mon cœur battait pour l’aventure que j’allais vivre. J’avais également mon Pipboy2000, un ordinateur/agenda miniature a la pointe de la technologie : les dernières versions affichaient des images et on cherchait à leur faire gérer plus de deux couleurs. Mon plan était simple : rejoindre l’abri construit sous New York et les prévenir des abus de notre dirigeant ; ils ne manqueraient pas de nous envoyer quelques hommes pour renverser le tyran. Je me mis en marche vers le soleil levant, le cœur léger.

J’avoue qu’au bout de deux jours de marche, je commençai à déchanter ; les mocassins de toile étaient très confortable dans l’abri, mais beaucoup moins dans le sable et à force de buter sur des pierres ils étaient en lambeaux. Enfin, au loin, une ligne droite. J’arrivai à une ancienne autoroute ; l’asphalte était craquelée et laissait régulièrement passer des touffes de végétation. De larges plaques de goudrons manquaient et peu à peu le sable reprenait ses droits ; le marquage jaune était le plus souvent trop effacé pour être visible et subsistait à peine comme un spectre. Je décidai de suivre cette route vérolée vers l’est. Quelques heures plus tard, un gros amas de ruines à l’horizon me fit comprendre que je touchais au but.

J’entrai dans la ville. Des restes de maisons, des ruines aux trois-quarts écroulées, essayaient de se maintenir sur les bords de la route, alors que ce qui était déjà tombé encombrait le passage. Peu de ces décombres avaient un semblant de toit et il était ridicule de chercher un étage. Malgré tout des formes bougeaient. Des rats ? Je pris le fusil et le mis en bandoulière sur mon épaule, et j’armai mon 10 mm. Alors que j’avançais, mi marchant mi escaladant des débris, ils apparurent. Des hommes, ou plutôt des humanoïdes, sortant de derrière chaque pan de mur et se dirigeant vers moi avec un air menaçant. Des hommes ; des goules, ces êtres qui après avoir été vidé de leur sang par un vampire, restent sans volonté, sans âme, seulement mus par la faim et les ordres de leur maître. Ces hommes là étaient des goules, et leur vampire, la bombe, ou la civilisation disparue ? Quoi qu’il en soit, ces hommes là n’avaient plus rien d’humain, et s’ils avaient l’air d’avoir faim, j’hésitais entre être flatté ou effrayé par le fait d’être appétissant. Je pris le pistolet et tirai en l’air. Une deuxième fois ; devant leur avance imperturbable, je me mis à paniquer, et tirai sur l’un d’entre eux. Je me rendis vite compte en vidant mon chargeur qu’il me faudrait améliorer mes qualités de tireur… …si j’en avais l’occasion. D’un coup je sentis une main sur mon épaule, mais pas spécialement amicale : un de ces zombies venait de me sauter dessus ; je le projetai à terre et le délogeai du petit monticule de déchets sur lequel je me trouvais à coups de pied. Trois de ces êtres me faisaient face et je pris mon fusil. Juste après avoir donné un coup de crosse dans la mâchoire d’une des formes derrière moi, je vidai les deux cartouches sur l’amas de chair qui me faisait face. Le premier, le bras arraché, tomba par terre et s’empala sur quelque ferraille qui dépassait ; le second, la poitrine percée de part en part, se vida peu à peu de ses viscères pour venir vomir son sang à mes pieds en expirant ; le troisième, qui était plus reculé, vola en arrière et vint se fracasser la tête sur un mur qui vacilla dangereusement. Les goules, cette fois effrayées, s’enfuirent en émettant des beuglements qui ressemblaient vaguement à de l’argot. J’hésitai du coup entre la désolation d’avoir tué ce qui n’était après tout que de pauvres miséreux et l’étonnement de l’efficacité d’une telle arme. J’entendis alors une voix sarcastique derrière moi… Un gamin de treize ans, assis sur un mur en décomposition, me narguait, une fronde à la main. Celle-ci ne contenait apparemment pas de pierre mais un gros écrou rouillé, comme il en traînait quelques uns devant lui.

« Je pourrais te tuer, tu sais, man ? me lança-t-il de haut.
-Tu as bien vu ce que j’avais fait de ces zombies non ? répondis-je avec une voix que j’essayais de rendre assurée, mais le fait d’imaginer les dégâts de cette pièce métallique sur mon pauvre crâne ne m’enchantait guère.
-Et tu comptes faire quoi ?
-Bah c’est simple, comme je vais pas te buter et que tu vas rien me dire, je vais te suivre, faudra bien que tu ailles reprendre de la poudre. Eh ouais, man, chui pas con, tu vois. Mais oublie pas que j’ai déjà tué un radscorpion à trois cent mètres avant qu’il ait eut le temps de dire… Euh, ‘fin pense-y avant de chercher à me fausser compagnie, man. »
Et c’est ainsi que j’avais connu Gavroche. Je crois qu’il n’avait pas de nom, et que même lui n’avait jamais vu l’utilité d’en avoir un, alors je l’avais appelé comme cela, et ça l’avait amusé. Grâce à lui j’avais appris pas mal de choses sur l’endroit dans lequel je me trouvais, et comment on y vivait. La manuel de survie de l’abri était très bien mais s’appliquait plus à un randonneur perdu en forêt en l’an deux mille qu’à un habitant d’abri perdu en enfer cent ans plus tard.

On se trouvait dans une ville appelée Niourk. Je n’avais pas réussi à la trouver dans le Pipboy ou sur mes anciennes cartes cette ville, mais je savais qu’il faudrait me remettre bientôt en route. La ‘ville’ fonctionnait en couches, des zones concentriques, et je me trouvais avec Gavroche dans la plus extérieure. Là vivaient les pauvres hères que j’avais pris pour des goules, dont la plupart n’avaient même plus – ou alors n’avaient jamais eu – conscience de leur humanité, ainsi que les plus miséreux qui n’avaient pas grand-chose en plus, sauf peut-être un esprit encore en marche. Là c’était la survie pure, mais c’était calme. Quand on s’enfonçait plus dans la cité, on trouvait des bâtiments encore debout, mais où des gangs sans pitié s’entretuaient, se droguaient, violaient femmes et enfants. Plus loin encore, c’était le paradis, où les bâtiments étaient intacts, il y avait des voitures qui bougeaient, l’eau et la nourriture étaient courants… J’essayais de démêler le vrai du faux, espérances de gamin et racontars de junkie. Gavroche était né là, sa mère était morte alors qu’il était très jeune, et comme les autres il avait cherché à survivre sans revenir au niveau de plus bas de l’humanité : l’animalité. Son grand rêve était de devenir assez fort pour pouvoir entrer dans un gang et ainsi aller plus profondément dans la cité. La civilisation était morte mais l’échelle sociale lui avait survécue ; on ne pouvait pas dire que c’était encourageant, mais lui, heureux, ne se souciait de rien. Il était persuadé que j’allais lui permettre de monter en grade, mais était très patient. Nous nous étions mutuellement accepté : moi parce que c’était une mine d’information, lui parce que la survie était plus simple à deux, et, comme il disait, « C’est déjà un premier pas pour fonder notre propre groupe ».

J’avais aussi appris que mon âge jouait en ma faveur : dans cette société, vingt-cinq ans était un âge que l’on atteignait soit parce que l’on était un solitaire très habile, soit parce que l’on appartenait à un gang. L’âge moyen était en dessous de vingt ans et on dépassait rarement la trentaine. On me prenait donc pour un solitaire, et le fait que j’aie de bonnes armes et une certaine éducation consolidait l’image de ce nouveau type de self-made men qui forçait le respect et la crainte.
Avec Gavroche nous nous déplacions beaucoup. Il fallait échapper aux goules, qui, sans être en chasse, s’incarnaient en une menace constante ; il y avait aussi d’autres survivants perpétuels comme mon nouveau compagnon, qui n’auraient pas hésité à nous tuer pour récupérer équipement ou nourriture. Mais notre principale préoccupation était les vivres :
« L’eau c’est chaud ; quand t’en trouves, t’espères qu’elle est pas irradiée mais bon, t’as pas d’autre choix que de la boire et faire le plein. Je connais quelques coins mais faut toujours faire gaffe pour que les autres les trouves pas. Sinon pour manger, bah le mieux c’est d’attraper des rats, et là y a pas le choix faut s’améliorer au lancé de pierres. Eh ouais, man, c’est pas avec ce que t’as à la ceinture qu’on va bouffer, parce que du rat y va pas rester grand-chose. Dans le pire des cas, si vraiment tu trouves rien, tu peux récupérer des cafards facile : vers midi tu entres dans les maisons et tu balances une ou deux pierre contre les murs. Et là ça se met à grouiller. Le cafard c’est un peu dégueu, ça remplit pas le ventre mais ça nourrit. Le ‘blème c’est que si cette saloperie a résisté aux bombes, ils sont souvent des mini grenades nucléaires. J’ai déjà vu des gars vomir leur tripes après un festin de ce genre ». Il n’avait pas parlé de la chair humaine, je doutais qu’il y ait même pensé, mais j’étais sûr que certaines personnes n’étaient pas aussi sélectives.

Ce jour là, j’avais remarqué une cour entre trois bâtiments. Elle était plus ou moins carrée, les trois édifices formant trois des cotés, avec un passage entre chaque, et le dernier était formé par un long et haut mur qui reliait les deux bâtisses extérieures, et qui devait sans doute se prolonger au-delà. Le sol était complètement dégagé, et un des deux passages avait été barricadé alors que l’autre était gardé par deux squelettes empalés sur des lances. L’avertissement ne nous avait pas dissuadé, et, après une demi journée d’observation, nous avions décidé de nous rapprocher. Les ruines des bâtiments avaient été renforcées et la cour avait été tournée en place forte. Quelques cadavres un peu partout laissaient penser qu’elle avait été prise, mais je ne comprenais toujours pas ce qu’elle gardait si jalousement, alors qu’être nomade me semblait être le premier pas vers la sécurité. Des cris de joie de Gavroche me firent comprendre : un énorme mûrier entouré de ronces agressives laissait ses baies aux plus courageux. Ce simple buisson pour moi était un trésor pour tous ces gens, et Gavroche commençait déjà à se gaver de mûres. Méfiant, je continuai pour ma part mon inspection. Les cadavres étaient très frais, en tous cas ils ne puaient pas encore et les visages étaient juste très pâles. Certains corps pourtant attirèrent mon attention : ils étaient à part et ne semblaient pas avoir été transpercés par des armes de fortunes comme les autres. De plus, leur position et leurs traits plus tirés que ceux qui avaient vu leur boyaux à leurs pieds, ce qui est somme toute assez éprouvant, m’inquiétèrent plus que de coutume. J’eus un flash et j’ouvris mon sac pour chercher mon compteur Geiger, que je n’avais pour l’instant jamais utilisé.

« Gav ? Gav ? Faut pas rester là, je crois… » Devant ma tête, il ne résista pas et ne posa pas de question. Je le surveillai tout l’après midi, et le remarquai moins joyeux que d’habitude. Plus tard, alors que je revenais avec notre dîner vers l’ancien General Store dans lequel nous comptions passer la nuit, je le trouvai en train de vomir coup sur coup. En m’entendant il leva ses yeux plein de larmes, je crois qu’il avait compris. Il s’essuya les mains, prit mon sac et le posa devant moi. « Casse toi ! » Je partis, et ne revins même pas pour l’enterrer. Que faire, à son tour il était devenu un danger pour les autres, et puis… Merde…

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