Ouvrir la partie Saga
Ouvrir la partie Fallout1
Ouvrir la partie Fallout2
Ouvrir la partie Fallout Tactics



FALLOUT24

Verset 18 : Sic Transit Gloria Mundi

Il est difficile de savoir, à New York, où se termine le fleuve et où commence la mer. L’estuaire de l’Hudson est tellement gigantesque. C’est sans doute pour cette raison qu’il n’y a qu’un seul pont reliant le continent à l’île de Manhattan : le George Washington bridge. Or un pont, surtout s’il est long, et encore plus s’il est le seul de la région, est un superbe endroit pour une embuscade. Les deux tunnels reliant l’île au continent étaient depuis longtemps bouchés par immondices et rats ; et puis, sans lumière, c’était de l’incitation au suicide… Pour traverser vers Manhattan, il fallait donc avoir beaucoup de chance, beaucoup de munitions, beaucoup de gardes, ou faire un long détour par le Bronx – a peine plus dévasté qu’avant la guerre – et le sud. Ou alors on pouvait tenter de passer en bateau. Mais vu la largeur du bras de mer, un radeau fait à la va vite ne suffisait largement pas. Rebirth City était sur le continent, à l’ouest donc de l’Hudson ; toujours dans New York, bien qu’à la périphérie, car on oublie souvent que la ville ne se réduit pas à son île si célèbre. Un des premiers actes du Phoenix avait été de prendre ce pont aux différents groupes de pillards qui s’en disputaient le racket, afin d’assurer la liaison avec ce centre de vie que représentait l’île.
Pour atteindre Liberty Island, je pouvais soit passer par l’ouest et la côte, soit retourner à Manhattan et passer par l’est. Dans les deux cas, je ne savais pas comment j’allais affronter la mer. Ne voulant pas croiser à nouveau les membres du phoenix, j’optais pour la première solution. Je passai la nuit dans une carcasse de camionnette, et, le lendemain matin, j’arrivai au rivage. Je ne sais pas si depuis la guerre, le niveau de la mer avait baissé ou si le débit de l’Hudson avait diminué, mais le niveau de l’eau avait fortement baissé, découvrant de larges berges pleines de limon, propices à l’agriculture. La première image que j’eus fut celle d’un champ dans lequel travaillaient une dizaine de personnes. La seconde image que j’eus fut celle de trois carabines me pointant, à trois endroits différents. J’étais parti avec un Browning, pistolet le plus commun qui soit, juste afin de montrer que, sans me destiner à la guerre, je pouvais riposter. Je l’avais mis en évidence à ma ceinture, afin de dissuader les voleurs de grand chemin et de montrer aux personnes bien intentionnées que je jouais cartes sur tables. Je mis donc tranquillement mes mains sur ma tête, et je descendis vers le groupe. On me prit mon pistolet avant de m’adresser la parole.
« Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
-Rien qui puisse vous alarmer ; je cherche juste un moyen de traverser un bout de mer. Ils se raidirent en entendant cela. Heu… Avez-vous une religion qui vous l’interdit ?
-Tu viens voir Karl ?
-Jamais entendu parler, désolé. »
Ils se détendirent et je compris que Karl n’était pas leur meilleur ami. On me conduisit devant le chef de la communauté. Ils résidaient dans un gros porte-container de cinquante mètres de long. L’eau se retirant, toujours amarré, il avait fini par toucher le sol, et s’était échoué sur un gros rocher, ce qui l’avait empêché de se coucher sur le côté. Aujourd’hui, de nombreuses poutres consolidaient cette cale naturelle, et une échelle de corde facilement retirable permettait d’accéder au pont, dix mètres plus haut. Le chef présidait dans l’ancienne cabine de pilotage. Après quelques minutes de discussion, j’appris que Karl, dit le gouverneur, avait la mainmise sur tout l’estuaire ; il possédait plusieurs bateaux, surtout des vedettes, de nombreux hommes, et interdisait l’accès à son territoire. Sauf en payant. Cher. Souvent plus cher que prévu, et pas simplement en monnaie. Le champ était juste à coté du transporteur, bien en vue, mais j’avais pu apercevoir d’autres bateaux échoués, notamment de petits chalutiers en bois qui n’avaient pas du trop souffrir de se retrouver à terre. Je proposai donc à Gonzales, c’était le nom du dirigeant, une idée un peu folle qui venait de me traverser l’esprit : remettre à l’eau certains de ces bateaux, plus massifs que les vedettes du gouverneur, et prendre le contrôle de l’estuaire. L’idée m’était venue comme ça, en voyant ces gens craindre cet amiral de pacotille, me disant que mon art de la guerre les aiderait à se débarrasser de lui. Et également parce que j’avais besoin d’un bateau pour rejoindre l’abri. Et je fus très étonné de voir que, malgré la superficialité de ma proposition, Gonzales paraissait emballé. Il me proposa de rester avec eux, de les aider à la culture des champs en tant que membre de la communauté, et de passer mon temps libre à approfondir mon projet, voir s’il était réalisable, et ensuite cela deviendrait le leitmotiv de la communauté. C’est ainsi que je passai un mois en tant que cultivateur. Ce fut une des périodes les plus agréables de ma vie. Gonzales avait une vision tout a fait juste de notre monde, pas un poil édulcorée, mais sans néanmoins tomber dans le cynisme. Il était plus réaliste que Python dans ses actes. Il avait compris que mon projet était intéressant, alors qu’il s’agissait d’une idée jetée en l’air, et il m’avait permis d’y réfléchir ; il ne m’avait pas rejeté sans pour autant s’emballer. Il savait que nous étions revenus à la loi de la jungle, sauf que les primates avaient des kalachnikovs. Il disait souvent : « C’est la loi de notre monde ; on la connaît, on la respecte. Elle a certes beaucoup de mauvais côté mais on ne peut pas la changer. Si on est pas d’accord, on crée une enclave plus civilisée, mais tout en sachant que cette enclave est au milieu des loups et que c’est leurs règles qu’il faudra utiliser pour la défendre. Jouer à l’Homme civilisé est un luxe, mais il faut savoir y renoncer au bon moment pour survivre. » Sa petite communauté était très bien organisée. Le navire étant quasi imprenable, ils se contentaient de relever l’échelle, et de verrouiller toutes les écoutilles et portes en fer une fois la nuit tombée. Si quelqu'un envahissait le pont, il serait bien avancé. Il n’y avait que des tours de gardes derrière les portes de sécurité, et dans une petite salle à l’arrière du navire, dans laquelle on avait percé de longues meurtrières pour protéger le champ. Le système n’était pas parfait, en une nuit un commando bien organisé pouvait enlever les cales et coucher le porte-container, mais Gonzales préférait savoir sa forteresse couchée et hermétiquement fermée plutôt que debout, à moitié envahie, et la population aux deux tiers massacrées. « Si cela arrive, il nous restera bien assez de temps pour décider quoi faire depuis notre carapace ». Tous les matins, les gens sortaient s’occuper des champs. Le soir, chacun devait revenir avant le coucher du soleil. Si l’on sonnait la cloche, c’est qu’un danger arrivait et qu’il fallait se hâter de s’abriter à l’intérieur. Cela arrivait régulièrement. Karl. Ses hommes venaient régulièrement pour demander à la communauté de joindre le gouverneur, faire partie de son empire, en échangeant nourriture contre protection. Ils proféraient des menaces sur la pérennité du groupe ou la santé des membres, mais malgré quelques exactions sur tout matériel oublié, ils ne s’attaquaient jamais au champ, soit parce qu’ils pensaient le récupérer, soit par crainte des meurtrières, et Gonzales ne pensait pas devoir craindre une attaque de la forteresse d’acier.
Petit à petit, je faisais mon étude, repérant des bateaux réparables, des éléments pour réparer tel moteur ou tel arbre, des cuves de mazout non complètement vides. Ces excursions me demandaient d’aller de plus en plus loin, il me fallait plus de temps, mais Gonzales consentit à me laisser une journée par semaine pour mes recherches. Le projet prenait forme et il me semblait réalisable. Je pensais récupérer trois bateaux de pêche, deux pour le combat, et un troisième comme mine. Le but était de simuler une panne moteur suivie d’une dérive du bateau ; les vedettes ne manqueraient pas d’aller l’accoster, suite à quoi le navire sauterait. Restaient de nombreux détails à régler, comme où trouver les explosifs, comment rendre le leurre convaincant… Alors que j’étais sur un petit chalutier, en train d’envisager les travaux à faire pour le remettre à l’eau et qu’il flotte, détail qui avait son importance, j’entendis au loin la cloche du transporteur. J’étais à cinq cent mètres de notre forteresse, mais de l’autre coté par rapport au champ et à l’échelle. Les hommes du gouverneurs étaient passés il y a dix jours, ce ne pouvaient être eux à nouveau ; je commençai à me dépêcher, il me faudrait certainement courir au delà de mes capacités pour atteindre la coque à temps, mais soudain je trébuchai, la marche n’étant pas facilitée sur le pont du bateau à moitié sur le flanc. Je me pris le pied dans le filet et restai accroché par la cheville, tête en bas, me balançant mollement dans le vide. Mon pistolet, lui, n’avait pas résisté à la gravité et se trouvait un mètre plus bas, sur la terre sablonneuse. J’entendis des coups de feu. Etais-ce les miens ? Karl était-il finalement arrivé à bout de patience ? Un mètre. En étendant le plus possible mon bras, je n’étais qu’a cinquante centimètres. Il suffisait que nos assaillants fassent le tour de la coque pour tomber voir un crétin en train de se balancer au bout d’une corde. S’ils ne se servaient pas de moi comme chambouletou vivant, plus drôle car il se contorsionne et essaie d’éviter les bouteilles de bières, j’allais sans doute terminer ma vie comme esclave sexuel… Dans ces cas là, un peu d’imagination redonne du cœur au ventre à n’importe qui… Je fis un gros effort et arrivai à accrocher une main dans les mailles du filet, à quelques centimètres de mon pied. Il n’était pas simple de libérer mon pied, qui tirait sur els mailles et resserrait l’étreinte. Plié en deux, endolori à cause de mon manque de souplesse, je me hissai à la force des bras jusqu’à ce que mes mains atteignent le pont. De là, je pus libérer mon pied, au moment où le bois éclatait sur ma droite. J’étais repéré. Mon pistolet était toujours à terre, je pouvais sauter pour le prendre, et me réfugier de l’autre côté de la coque, mais c’était très dangereux, surtout sans rien connaître de ceux qui m’en voulaient. J’optais finalement pour la seconde solution, aller me réfugier dans la petite cabine du chalutier, qui contenait encore un peu de matériel, notamment un gros bout de ferraille que j’avais utilisé comme levier, et qui pourrait me servir de gourdin… …contre des armes à feu. J’entrai donc précipitamment dans le réduit, au moment où une des vitres se mouchetait d’un gros flocon blanc. Accroupi, ma barre à la main, j’attendais ; j’entendis soudain des coups sur la coque : quelqu'un escaladait. Soudain, grâce à ma position assez basse dans la cabine, je remarquai un détail que je n’avais pas pu voir lors de mes précédentes explorations : sous le gouvernail, une petite boite vissée à la paroi, qui selon l’inscription : flares, devait contenir un pistolet lance-fusée. Je me jetais dessus, et pris le lanceur dans la main. J’essayai de faire rentrer une des grosses cartouches dans le canon, mais, à cause du stress, je n’arrivais qu’à m’esquinter les doigts. J’y arrivai enfin, au moment où une face mal rasée et ravagée par la vie dans les wastelands apparut à la fenêtre. Sans réfléchir, je pointai et pressai la détente. Le résultat d’une fusée éclairante rencontrant un crâne à bout portant est assez impressionnant. Je garderai cette image toute ma vie. L’odeur, le bruit aussi… Le pont, la cabine, moi, étions recouverts d’une substance poisseuse, rouge, dégoûtante, mélange de sang, de cervelle, d’os, le tout à moitié cuit par la fusée. Je n’eus qu’une hâte, réintroduire la deuxième des trois fusée, et j’attendis… longtemps… très longtemps… Puis, quelqu'un en bas, m’appela ; je sortis de ma torpeur. Un des membres du groupe. Heureusement qu’il n’était pas monté, je n’aurais pas réfléchi et aurais à nouveau fait claquer le chien. Les pillards s’étaient enfuis depuis une heure.
Il me fallut plusieurs jours pour m’en remettre. Je fus dispensé de travaux agricoles. Mais une semaine après, je me remis à la tâche. Malheureusement, très rapidement, un évènement similaire se produisit. Les hommes de Karl. Cette fois, je fus le premier à l’échelle. Mais, alors qu’elle venait d’être relevée, un jeune de la communauté apparut, l’ai affolé, en haut d’une colline voisine. Les hommes de Karl étaient sur le point d’accoster. Au meilleur des cas, il se ferait tirer en montant. On ne redescendit pas l’échelle, et on nous fit rentrer. Quelques dix minutes plus tard, on entendit les cris du garçon ; supplices d’abord, puis hurlements indescriptibles. Je regardai Gonzales : on pouvait sortir et aller tirer nos assaillants. En les surplombant de dix mètres, on risquait peu de choses, et au moins, même si on ne pouvait sauver le sacrifié, on montrerait notre détermination au gouverneur en lui anéantissant un équipage. Et on récupèrerait une vedette. Il refusa. « C’est la loi de notre monde ; on la connaît, on la respecte. Il ne l’a pas respectée, tant pis pour lui ; il en connaissait les conséquences, maintenant il les paie… » Je comprenais mieux pourquoi personne n’était venu à mon secours lorsque j’étais pris au piège dans le chalutier. Révolté, je forçai le passage pour sortir, mais il me bloqua le passage et braqua sur moi un revolver. Je dus attendre, et écouter, comme les autres.
Une demi heure plus tard, sur la plage, nous retrouvions le corps du gamin, brûlé, poings et pieds coupés, yeux soudés au tison, les os mis à nus ça et là… J’avais compris que Gonzales avait menti. Il voulait avant tout éviter tout conflit. Ce n’était pas une autruche comme la plupart des autres dirigeants, mais c’était une tortue. Au moindre danger, il rentrait dans sa carapace et attendait que cela passe… Il ne voulait pas s’attaquer au gouverneur, ni pendant ses descentes, ni, et encore moins, en l’affrontant directement par un combat naval. Il m’avait manipulé, m’avait laissé faire pour gagner une paire de bras supplémentaire. Et j’avais stupidement marché. Je lui posai la question. Il ne répondit pas. Il ne nia pas. Le soir même, j’étais à des kilomètres de là. Ma rencontre avec les motards de l’apocalypse m’avait profondément changé : il y a quelques temps, dans la même situation, je l’aurai crucifié à son bateau avant de lui mettre le feu…
Puisque je devais toujours traverser cet estuaire, et que tout le territoire maritime appartenait à un homme, c’est à lui que j’allais m’adresser pour arriver à mes fins. Tant pis si c’était un enfoiré, je n’avais pas grand-chose à lui envier. Karl.

Webmasterisé par Sylvanor
Toute reproduction interdite sans autorisation.