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FALLOUT24

Verset 22 : Malum est, malum est, dicit omnis emptor

J’avais finalement rejoint Python. Il m’avait dit que je pourrais revenir. Sans doute savait-il que, tôt ou tard, la vie allait me renvoyer dans ses filets. Etant à la tête du seul lieu civilisé, et sachant que je ne pouvais vivre bien longtemps à l’état sauvage, il devait avoir prévu ma réaction. Mais il m’avait laissé du temps. Je le remerciais en lui donnant raison. Aussi grave que la fois où il m’avait annoncé la mort de Mina, il se contenta de me dire : bienvenue. Puis il m’avait laissé quelques jours, et j’avais repris du service. Il connaissait mes qualités de guerrier, nous avions survécu à Jude ensemble, et j’avais mis fins aux aventures des motards de l’apocalypse – sans doute n’était-il pas au courant pour Karl. Il savait également que j’avais une grande connaissance du monde, et me faisait confiance. Après les épreuves que j’avais affrontées, il me fit toutefois commencer par de petites missions sans grande importance ni grands risques. Reconnaissance d’un terrain plus ou moins connu, ravitaillement d’un village, résolution d’un conflit parmi les gens de Rebirth City, etc. Au bout d’un mois, j’eus droit à une vraie mission. La ville qu’il avait créée était trop petite pour accueillir tous les déshérités de l’ancienne mégalopole. C’était donc devenu un pôle commercial et humain, et qui aidait les villages alliés aux alentours. Les soldats du groupe Phoenix allaient donc régulièrement dans ces petits groupements pour voir si tout se passait bien, et les épaulaient en cas de problème. L’influence de Python grandissait sans cesse, et la région se pacifiait, les échanges intercommunautaires s’intensifiaient, sans nécessairement passer par la prison. Ce jour là, nous avions reçu l’appel d’un village avec lequel nous venions juste de passer un accord, bien au nord par rapport à nous, à la limite d’influence de la cité. Il était donc très important de régler leur problème de la façon la plus rapide qui soit, et la plus adaptée à leur manière de voir les choses. Pas d’incident diplomatique, s’il vous plait. Ils se plaignaient d’attaques constantes de la part d’un groupe de pillards, et réclamaient notre aide. J’avais donc été dépêché là bas avec deux soldats du Phoenix.
Le voyage, à dos de cheval, ce qui était assez rare, mais la distance à parcourir et l’économie d’essence nous l’imposaient, le voyage, donc, se passa bien. Je fis rapidement connaissance avec Yanay, petit, trapu, dont je n’aurais pas aimé recevoir une baffe. Un air souriant, des yeux rieurs, au milieu d’une petite tête ronde aux cheveux noirs et plaqués. Il avait un fort accent polonais, un Jackhammer en bandoulière, et parlait finalement assez peu. Son compagnon me parut beaucoup plus intéressant. Plus renfermé, il fut difficile de lui arracher un mot, mais plus tard j’arrivai à avoir des discussions captivantes avec lui. Il avait à l’épaule un fusil de précision, son fusil de précision, que personne n’avait le droit de toucher. Le long canon était gravé : Protector of all Endless Sleep.
Nous arrivâmes au village en début de soirée. Il devait être six heures, le soleil commençait à descendre et allait bientôt atteindre la ligne déchiquetée des immeubles en ruines qui tenait lieu d’horizon par ici ; la lumière était rouge, les ombres grandissaient. L’endroit était facilement repérable, car, comme nombre d’autre communautés qui se méfiaient des nomades, souvent des pillards, les villageois avaient dans la mesure du possible abattu les immeubles autour de leur campement. Même si c’était très approximatif, de loin on voyait bien un espace sans tour, et il était difficile de ne pas se faire repérer en approchant de moins de cinquante mètres des palissades qui protégeaient l’endroit. Le village était en effet établi sur un terrain en construction : l’endroit était donc assez atypique, puisque l’ensemble avait très peu souffert, et paraissait avoir passé la guerre sans encombre. De l’extérieur, les grandes palissades de tôle, hautes de deux mètres, blanches, à peine taguées, et surmontées d’un léger rouleau de barbelé probablement d’origine, laissaient apparaître quelques amas de cases de préfabriqués, à l’origine réservées au repos des ouvriers et aux plans des architectes, et qui maintenant accueillaient des familles entières. Yanay tiqua : une attaque en règle aurait fait voler ces frêles remparts comme des fétus de paille. Les gardes nous reconnurent à l’oiseau enflammé cousu à l’épaule de nos uniformes - seul moi avais voulu garder mon équipement habituel. Du haut de leurs miradors de fortune, ils firent signe pour qu’on nous encadraient la porte, et permettaient de surveiller ce qui se présentait grâce à celui qui la surplombait ; nous mîmes donc pied à terre, et nous foulâmes la terre parcourue il y a des années par des noms illustres comme Caterpillar, Man ou Case. J’allai voir l’ancien, qui semblait diriger et avait fait appel à nous. On m’avait indiqué l’endroit, mais allez distinguer un préfabriqué d’un autre préfabriqué ; il fallut qu’on m’y emmenât. Là-bas, on me réexpliqua le problème des pillards, qui venaient régulièrement et terrorisaient la population. La populace thésaurisait, les pillards terrorisaient… Heu, hum, excusez moi. Le vieux me regarda bizarrement, il m’expliquait que son peuple allait se faire décimer et je rêvassais. Je l’assurai que tout allait bien se passer et sortis, un peu barbé par son exposé plein de suppliques et lamentations dissimulées… Bla bla bla, mon peuple, bla bla, on va se faire voler… J’en avais un peu marre de tous ces petits chefs qui se lamentaient, et moi qui devais résoudre tous les problèmes. Pour un monde où l’industrie avait disparu, je me rendais compte que j’avais tiré un nombre incalculable de cartouches. Est-ce qu’ils en mangeaient avant la guerre pour en avoir laissé tellement en réserve ? J’imaginais bien l’étasunien moyen, arrivant à sortir de son canapé parce que la guerre va être déclarée, aller acheter une autre arme à feu au lieu d’un bidon d’eau potable. D’un coté, les gentils vont se faire tuer, d’un autre coté, pour empêcher ça on tue les méchants. Si on retourne le problème, que sommes nous pour ces pillards ? Plus intéressant, que sommes nous pour cette population qui trime pour faire pousser un peu de blé, nous, les gens d’armes qui arrivons, massacrons les méchants, puis repartons. Sommes nous des sauveurs ou des profiteurs, des pillards qui ont bien choisi leur camp, qui ont eu de la chance en fait : la lutte des classe avait déjà repris. Houlà, je tapais une petite déprime ou quoi ? Je finis de m’éloigner de la case sous l’œil un peu soupçonneux du chef de village.
Les préfabriqués, à l’origine éparpillés un peu partout sur le terrain, avaient été rassemblés, au minimum une case sur deux autres, transversalement, mais cela pouvait aller jusqu’à des blocs de 11 sur trois étages ! Ce faisant, un maximum de terre était laissée libre pour l’agriculture et les tentes, le terrain étant assez vaste pour permettre de cultiver intra muros, les récoltes craignant moins d’être ravagées par des voleurs.
Je fus accueilli pour la nuit dans une famille qui habitait sous une tente. « C’est moins confortable et plus froid, mais il y a plus de place ! ». Le mari s’appelait Denton, sa femme, visiblement enceinte, Carrie, et leur petit garçon de deux ans au plus, Jared. Ils furent très bons avec moi, trop sûrement, je me rendis compte que le somptueux repas qu’ils me donnaient puisait très largement dans leurs réserves hebdomadaires. Ils furent visiblement blessés lorsque je fis mine de ne plus avoir faim, gêné que j’étais de les priver ensuite de repas convenable pour plusieurs jours. Je compris rapidement que ce n’était pas parce que j’étais leur ‘protecteur’, simplement leur invité. Denton était de garde ce soir là, je discutai donc avec Carrie. Elle jouait avec le petit Jared ; elle le posa et, alors qu’il marchait, je remarquai qu’il avait plus des pattes que des jambes : elles lui sortaient sur le coté à la manière des reptiles, et non pas en dessous du tronc. Il n’avait que trois doigts de pieds, terminés par des petites griffes. Se dandinant, il arriva à faire quelques pas puis tomba ; sa mère alla le relever. « A cet âge, il devrait pouvoir marcher, si ce n’est pas triste ; mais c’est qu’il aime se faire cajoler ! –Elle lui gratouilla le ventre et lui fit un câlin.
-Mais… tu as conscience qu’il n’est pas normal, cet enfant…
-Ah… C’est bien ce que je dis à Denton, mais il me dit que les enfants marchent plus tard. Non, moi il me semble bien qu’il devrait déjà être debout en train de gambader. C’est bien un paresseux, comme son père.
-Je parle de ses jambes…
-Ses jambes ? N’est ce pas mignon ? – Elle continua une phrase plus ou moins compréhensible qui se termina par un gouzi-gouzi en se frottant les cheveux sur le ventre de l’enfant.
-Tu ne crois pas qu’il risque d’être rejeté ? Si il survit ?
Elle releva la tête, étonnée de mes propos :
-Pourquoi survivre ? Il a toutes ses chances ce petit, on le nourrit bien. Après qu’il soit paresseux ne change rien, il s’y mettra, mais plus tard tout simplement. Quant à être rejeté, on ne rejette pas quelqu'un parce qu’il est différent. Et puis, c’est tellement minime et mignon. Au pire, je serai toujours là avec lui.
-Et s’il est malheureux ?
-Mais c’est ridicule d’être malheureux. Qu’est-ce que ça change ? Il vaut mieux agir et changer sa vie, si on ne l’aime pas. Si tu n’es pas heureux et que tu ne changes rien, tu ne seras pas heureux plus tard, alors quel est l’intérêt de vivre comme ça ? Les gens malheureux, ce sont des gens immobiles, je n’ai jamais réussi à comprendre comment ils pouvaient faire. Il y a tellement de belles choses autour de nous. Tu n’es pas heureux toi ?
Je réfléchis quelques secondes. Dans un premier temps je me demandai quelles raisons auraient pu faire que je sois heureux ; dans un second temps je me posai franchement la question. Je fus sur le coup un peu choqué, mais en fait c’était évident :
-non, je ne crois pas.
Carrie me prit vraiment au sérieux : elle posa son fils sur une couverture avec un ou deux jouets en bois, et s’assit en face de moi.
-Raconte moi tout. »
Un long moment passa. Ma mère, Mina, Thaddée, tellement d’autres…
« Pourquoi, si tu ne veux plus être soldat, tu ne t’arrêtes pas ? Un petit village comme le notre… On rencontre rapidement une gentille fille qui veut bien de nous. La journée on travaille, le soir on rentre, on rit, on s’aime…
-Et quand je mourrai, quand je ferai un bilan de ma vie, qu’est ce que je me dirai ? Moi et ma femme : la journée, on sème, le soir, on s’aime, et c’est tout ? La même vie que tant d’autres, tant d’autres que j’ai critiqué pour leur médiocrité, comment être sûr de ne pas avoir raté sa vie ? Depuis le temps que l’on réfléchit au sens de la vie, pourquoi on ne l’a pas trouvé, ce serait tellement simple ?
-Pourquoi vouloir chercher un sens à la vie, te torturer, et quand tu vas mourir te rendre compte que tu as gâché tout ce temps à penser à des bêtises. Pourquoi ne pas te contenter d’être heureux ?
-Mais ce n’est pas aussi simple, qu’est-ce que le bonheur ? N’est-ce pas un ersatz de bonheur ce que je vivrais ? Un alibi pour ne pas ma poser de questions ? Quelle sera la différence entre moi et l’imbécile qui n’a jamais réfléchi et se contente d’être ballotté par le flot des évènements ?
-Si tu te sens bien, pourquoi aller chercher plus loin ? Si personne n’a trouvé le sens de la vie, si personne n’a pu déterminer ce qu’était l’amour, ou le bonheur, pourquoi ne pas te laisser aller à écouter tes sentiments ? Tout ne peut peut-être pas se démontrer, alors si tu as l’impression que tu es heureux et que tu aimes ta femme, que ta vie est belle comme cela, pourquoi ne pas te sentir bien si la science ne l’a pas prouvé ? Pourquoi cherches-tu à t’élever au dessus de ton voisin ? Si tu veux vraiment ne pas être confondu avec la masse, très bien, tu n’es pas comme les autres. Les autres suivent le troupeau, toi tu as réfléchi, tu as cherché, et tu as vu qu’ils allaient dans la bonne direction. Ils ont eu de la chance, toi tu as pensé, le hasard fait que votre chemin est le même mais tu es différent d’eux. Ceux qui font différemment ne sont-ils pas un autre troupeau ? Toi qui réfléchis, es-tu sûr que personne n’a déjà emprunté la même voie que toi ? Ton raisonnement est sans doute simpliste pour des gens qui ont encore plus réfléchi. Donc si ça se trouve, tu es également méprisable pour des gens encore plus intellectuels que toi. Quitte à être méprisable, quitte à ne pas avoir la réponse à la fin, pourquoi ne pas faire tout simplement ce qui te fait te sentir bien sans te poser plus de questions ? Tu crois que sur tous les gens qui ont suivi les conventions au long des siècles, il n’y a que des moutons idiots ? Tu penses que personne n’a suivi cette voie simplement parce que ça lui convenait ? Réfléchis si tu veux, mais n’oublie pas de vivre. Si tu t’es trompé de chemin, tu pourras changer de direction, mais ne reste pas toute ta vie sur le ligne de départ en te demandant s’il faut aller à gauche ou a droite. Tu juges les autres, mais personne ne te jugera si un jour tu as cédé à la facilité parce que c’était plus agréable ; qui t’en blâmerait, à part ceux qui regrettent de ne pas l’avoir fait ? »

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